And the Rafale, dont tout le monde parle

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And the Rafale, dont tout le monde parle

13 mars 2006 — A côté de l’aspect transatlantique spécifique de l’affaire JSF, on trouve désormais le front inattendu quoique très amical qui s’est ouvert au niveau trans-Manche, avec l’évocation du Rafale français comme “plan B” en cas d’abandon du JSF.

[“Plan B”? Interrogé par des parlementaires sur la possibilité du Rafale/“Plan B”, Mike Turner, CEO de BAE, a répondu que des alternatives sont toujours prévues dans un cas comme celui de la participation des Britanniques au JSF, et que si le Rafale est prévu c’est plutôt dans un “Plan Z”, après tous les autres plans possibles de l’alphabet. Tout cela fait partie de l’habituel dénigrement britannique de l’avion français, en général plutôt silencieux et cette fois sarcastique puisqu’on est obligé d’en parler. Ce dénigrement est d’autant plus compréhensible dans le cas du Rafale et de Turner que BAE/Turner n’aiment évidemment pas cet avion dans le cadre de la concurrence avec leur Typhoon. (Certains rêvent à la “navalisation” du Typhoon : c’est une bonne chose, mais il faudra attendre que la version standard, terrestre, vole normalement.) Considéré du point de vue de la logique, si Turner ironise de la sorte en reléguant le Rafale aux oubliettes, on peut tenir le contraire pour indiscutablement vrai. Turner nous confirme que le Rafale est objectivement la seule alternative sérieuse et qu’il constitue effectivement le “plan B” des Britannique et leur seule alternative au JSF.]

Le Rafale est dans cette affaire un cas intéressant. C’est un avion typiquement français : en général critiqué en France, pour ne pas dire plus (pour ne pas dire : “détesté”) ; et, puisqu’il fonctionne bien, systématiquement ignoré hors de France, c’est-à-dire dans les pays anglo-saxons ou satellites d’une façon ou l’autre organisés à partir des consignes venues du binôme USA-UK. Ainsi va la vie de la communication dans le monde de l’aéronautique.

[A part cela, le Rafale a la particularité d'exister et, par conséquent, d’être le seul avion de sa génération sur le marché qui soit réellement opérationnel, à un prix acceptable aux normes du jour, et d’une qualité technique généralement reconnue comme excellente. Prix selon des estimations raisonnables et généralement partagées : $60 millions pour le Rafale, $80 millions pour l’Eurofighter/Typhoon, $100-$120 millions pour l’instant pour le JSF. Mais passons : ce n’est pas à cette aune qu’on juge aujourd’hui un avion de combat, mais à l’aune de l’image que fabrique la “com” anglo-saxonne. Ainsi, en 1999-2000, toute la presse, notamment française et subtile, acceptait-elle avec enthousiasme les affirmations que le JSF serait vendu à 6.000 exemplaires, dominerait exclusivement le marché de 2005 à 2075, tuerait en passant l’industrie européenne, figurerait dans un programme pouvant aller jusqu’à $750 milliards, coûterait par exemplaire entre $29 et $40 millions.]

Récemment, à propos du Rafale et des Britanniques, quelque chose a basculé. Peut-être tout cela est-il venu, — ô insondable paradoxe, — d’un bloger, expert en aéronautique, eurosceptique et pro-américain, — Richard North, du site EUReferendum. Aujourd’hui, l’option de l’achat du Rafale par les Britanniques commence à être envisagée d’une façon ouverte dans les réseaux de communication (presse, Net, etc.) britanniques, ou d’orientation anglo-saxonne. C’est ce point qui nous intéresse ici.

Trois publications récentes en portent témoignage :

• Christopher Booker dans The Daily Telegraph du 5 mars. Booker, ami de Richard North, reprend l’analyse de ce dernier pour mettre en évidence l’aspect politique de cette affaire. Il la saupoudre d’une dramatisation extrême, notamment quant aux liens étranges de sujétion des Britanniques vis-à-vis des Français… « Blazoned over the front page of the financial section of last week's Mail on Sunday was news of a meeting in January at which the Defence Secretary, John Reid, and his French counterpart, Michele Alliot-Marie, discussed the aircraft to be bought for the Royal Navy's two planned ‘super-carriers’. It seems we are to pull out of the British-US joint strike fighter project and to buy instead French Rafales, which will also be used on a third super-carrier to be built for the French Navy. This ‘revelation’ will not come as a surprise to readers of www.eureferendum.blogspot.com, where my co-author Dr Richard North has been covering, more comprehensively than anywhere else, the radical shift in our defence policy [...] The implications of this, as I have reported here more than once in the past year, are immense. The joint strike fighter was the last major Anglo-US defence project. The Americans have been increasingly reluctant to pass on technological secrets to Britain, knowing that we are now treaty-bound to pass them on to France. »

• « Britain, the STOVL Premium and the US “Tax” », un article de Giovanni de Briganti, sur son site commercial Defense-Aerospace.com, le 7 mars.

• « F-35 Joint Strike Fighter Program: UK Update », une analyse de la situation de l’engagement britannique dans le JSF, sur le site de Defense Industry Daily (DID), une société britannique d’analyse des questions industrielles de défense, le 10 mars. (L’analyse de DID mentionne notamment le texte de De Briganti.)

Nous nous attardons aux deux derniers cas, dans lesquels l’option “Rafale” pour les Britanniques est examinée froidement, comme s’il n’était là question que d’une simple analyse technique dans une perspective désormais très acceptable, voire souhaitable. De Briganti développe ce qu’il juge être l’erreur britannique de poursuivre l’idée de l’acquisition d’un avion ADAC/V (le JSF, dans sa version ADAC/V) et les avantages du Rafale pour la Royal Navy.

« However, the case for STOVL is much less persuasive in today’s strategic environment. Dispersing air force units away from heavily protected air bases is no longer necessary absent the credible threat of massive air attacks. On the contrary, it would be more dangerous to disperse air and ground crews as this would expose them to direct attack from the irregular forces and terrorists they are likely encounter during future operations. The argument in favour of STOVL capability for the Royal Navy also has faded, if not disappeared altogether: while it was crucial to fit jet fighters to small carriers displacing 20,000 tonnes, it is far less necessary for the RN’s future carriers, which will displace around 60,000 tonnes.

(...)

» Buying the Rafale, on the other hand, would lower the acquisition and life-cycle costs of the future British carrier force because they would be shared with France across the board, and not simply on part of the ship design as is now the case. And with their main naval ports and air bases so close together, support would be far simpler than with JSF.

» And, given the status of the Rafale program, Britain should be able to obtain very significant price concessions and offsets for a 150-aircraft buy. Best of all, from a British point of view Rafale is at an ideal phase for such a deal: naval Rafales have been operational long enough to iron out its kinks, yet production is not so far advanced as to make integration of a new partner impossible. »

DID n’apporte aucun élément décisif nouveau. Il reprend une analyse du statut du programme JSF pour les Britanniques et fait une large place à l’“option Rafale”. Cela aurait été une démarche journalistique (de la part d’un journaliste britannique) impensable il y a trois mois, quand le Rafale n’existait pas. DID se réfère effectivement à North, à qui justice est ainsi rendue.

« The Euroskeptic blog EU Referendum points to (and has scanned images of) a March 26, 2006 story in The Financial Mail, noting that the “unexpected verbal offer” to buy “up to 150” carrier-capable Rafale-M jets “came on 24 January when defence secretary John Reid met his opposite number, Michele Alliot-Marie, for crucial talks in London.”

» DID has pointed out that the CVF may be designed as a STOVL carrier initially, but it has provisions for accommodating arrestor gear and a catapult launch system, once the CVN-21's improved EMALS system is perfected. An early inclusion of PA2 features such as steam catapults (despite their complexity and maintenance headaches), plus elimination of the ‘ski jump’ ramp at the bow, would be sufficient to accommodate the fourth-generation Rafale-M.

» DID has discussed the problems inherent in creating a naval version of the Eurofighter, which was originally floated as a Plan B option. Nevertheless, Defence Procurement Minister Paul Drayson noted back in November 2005 that “...here has to be a plan B” with regard to the fifth generation F-35B JSF program. “I have no sense we need an alternative plan today, and I am not saying we need to pull any levers on plan B today, absolutely not. But we need to make sure we have done the work needed to ensure we have an option.”

» With the Rafale-M proposal, Lord Drayson now has a proven option. The French, meanwhile, have watched the Rafale's export failures with alarm. They have been forced to cut back planned procurements slightly in order to put the money into ongoing upgrades, and observers have noted a sense of pressure on Dassault to find a major customer for their aircraft in order to keep its costs sustainable over the longer term. With another potential deal for the Rafale also looming in India, Britian's ability to secure the Rafale's future and significantly improve its chances in another sale would appear to put them in the driver's seat — if they wish to take the offer.

» Britain's maneuvering window will last until the end of 2006 or early 2007, at which time the JSF program will move on to the next phase and participants will be asked to commit to and prepare for production. »

Le Rafale et la psychologie britannique

D’une façon générale, les Français, quand ils s’en avisent (c’est encore rare), regardent avec le plus grand scepticisme du monde ces manœuvres britanniques. Leur avis est que, jamais les Britanniques n’achèteront français dans ce domaine considéré comme stratégique. Les Britanniques, eux, n’ont jamais rien dit de pareil. Simplement, ils ont jusqu’ici ignoré l’“option Rafale” puisqu’ils ignoraient l’existence du Rafale.

Les Britanniques étant habiles et le “plan B”/“plan Z” pouvant servir, on prend des précautions. Ces précautions sont typiquement anglo-britanniques, c’est-à-dire qu’elles sont de type dialectique ou virtualiste, — ou comment préparer l’argument spin si effectivement de façon plus précise une commande du Rafale. Comme il n’est pas question d’admettre qu’on s’abaisse à reconnaître à la fois une erreur d’estimation (les Britanniques obtenant ce qu’ils veulent des Américains dans le JSF) et une erreur d’orientation stratégique sinon existentielle (les avantages des special relationships), on dira qu’en achetant du Rafale on fait une très bonne opération.

L’argument spin qui est suggéré aux médias anglo-saxons sera donc qu’on sauve pratiquement le programme français et qu’on peut même prétendre prendre en demi-main son destin ; s’il était effectivement choisi par la Royal Navy, demain, le Rafale deviendrait presque britannique... On sent cette logique dans cet extrait déjà cité de l’analyse DID (en gras, l’énoncé de ce glissement de l’état d’esprit) : « The French, meanwhile, have watched the Rafale's export failures with alarm. They have been forced to cut back planned procurements slightly in order to put the money into ongoing upgrades, and observers have noted a sense of pressure on Dassault to find a major customer for their aircraft in order to keep its costs sustainable over the longer term. With another potential deal for the Rafale also looming in India, Britain's ability to secure the Rafale's future and significantly improve its chances in another sale would appear to put them in the driver's seat — if they wish to take the offer. »

Une même logique apparaît dans cette observation de De Briganti, que nous citons à nouveau dans cet état d’esprit différent: « And, given the status of the Rafale program, Britain should be able to obtain very significant price concessions and offsets for a 150-aircraft buy. Best of all, from a British point of view Rafale is at an ideal phase for such a deal: naval Rafales have been operational long enough to iron out its kinks, yet production is not so far advanced as to make integration of a new partner impossible. »

Avant d’éventuellement devenir un cas stupéfiant de changement d’option stratégique s’il était choisi par les Britanniques, l’option d’un choix du Rafale par les Britanniques est d’abord l’occasion d’une passionnante exploration introspective (sinon intempestive) de la psychologie britannique.